Comment juger un crime sans preuves?

 

    On entend souvent le lieu commun, qui est toutefois juridiquement exact selon laquelle « le doute profite à l’accusé ». Cela signifie concrètement que si le juge n’est pas intimement convaincu de la culpabilité de l’accusé, il est en devoir de l’acquitter.

     Dans les faits, c’est une théorie très protectrice pour les accusés, puisque les enquêteurs doivent rassembler des preuves accablantes et des témoignages en béton pour qu’une personne soit condamnée.

     Or, Florence Rault, l’avocate de Jean-Paul Degache nous disait, le soir de la condamnation, que « dans les affaires de mœurs, si le jury doute, il condamne ». Pour quelqu’un qui croit en l’Etat de droit, cette phrase n’a aucun sens : quand on doute, on acquitte, on innocente, mais on ne condamne surtout pas !

     Il s’avère que Florence Rault a raison : la justice populaire n’est pas faite pour juger les crimes sans preuves.

     Les crimes sont les faits judiciaires les plus graves. Dans la hiérarchie des infractions, on retrouve en bas de l’échelle la contravention, jugée par un tribunal de police, puis le délit (vol, drogue…) jugé par le tribunal correctionnel (composé de trois juges professionnels).

     Les crimes sont en France, pour schématiser, le plus souvent des assassinats, des meurtres et des viols. Ils sont jugés par une Cour d’assises.

     La Cour d’assises est l’expression de la Justice populaire, elle rend ses décisions au nom du peuple français. En première instance elle est composée de 12 jurés dont 9 jurés populaires et 3 juges professionnels, tirés au sort parmi les personnes inscrites sur les listes électorales. Autrement dit n’importe qui ou presque peut avoir à se prononcer sur un crime au cours de sa vie. En appel, il y a 12 jurés populaires et 3 juges professionnels.

      Pour condamner un accusé, il faut en première instance 8 voix au moins sur 12 et en appel 10 voix au moins sur 15. Si cette majorité n’est pas réunie, l’accusé est acquitté.

      Lorsqu’il y a des preuves (empreintes, armes, analyses ADN, enregistrements, vidéos…), des témoignages indépendants (personne présente au moment des faits, agent de la force publique…) cela facilite le raisonnement du juré populaire. En se mettant à sa place, on se dit qu’il sera plus simple d’être convaincu de la culpabilité de quelqu’un qui serait accusé d’un assassinat qu’il avouerait, chez qui on aurait retrouvé l’arme du crime, qui apparaîtrait sur une vidéo en train de tirer et que plusieurs passants identifieraient.

      Mais lorsqu’il n’y a ni témoins, ni preuves ?

      Jean-Paul Degache a été jugé par deux fois coupable de viols et agressions sexuelles sans qu’aucun élément de preuve ne vienne éclairer l’avis du jury et pire, sans qu’aucun témoin ne puisse dire « oui, j’ai vu ce Monsieur commettre cet acte ». Ce n’était que des paroles d’accusatrices contre des paroles de défenseurs.

      Et encore, malgré toutes les incohérences que les défenseurs de Jean-Paul ont soulevées, les jurés ont condamné Jean-Paul, par deux fois.

     Comment peut-on expliquer cette condamnation à la lumière du principe immuable selon lequel « le doute profite à l’accusé ? »

      Florence Rault, encore elle, appelle cela la « dictature de l’émotion ». Autrement dit, la Cour se transforme en théâtre où le meilleur comédien gagne.

      A cela il faut ajouter que dans le cas des meurtres, la victime ne vient pas témoigner à la barre, ne vient accuser personne, ne pleure pas, n’hurle pas sa douleur. Cela permet aux jurés de se concentrer sur les faits, rien que les faits et de trancher en leur âme et conscience.

      Dans le cas d’affaires de mœurs, les présumées victimes viennent à la barre, témoigner du calvaire enduré, pleurent en évoquant leurs souffrances, jettent un regard noir à l’accusé, disent qu’il a gâché définitivement leur vie…

      Ce ne sont pas des preuves, ni des témoignages indépendants, juste des accusations. Mais un jury, qui est confronté pour la première fois de sa vie à ce type de scène peut-il y rester insensible ? Ne sera-t-il pas tenté, même si l’accusation ne tient pas vraiment debout, de condamner sans preuves, dans réels témoins ?

      Cette dictature de l’émotion, qui fait se confronter des jurés inexpérimentés à des victimes présumées qui peuvent surjouer leur douleur, voire la feindre nous interroge sur le fait que la vie d’accusés dans les affaires de mœurs, soit entre les mains de personnes totalement inexpérimentées en matière de justice.

      Cette inexpérience permet, dans les faits de bafouer sans en être conscient une des règles fondamentale du droit selon laquelle le doute profite à l’accusé. Le doute n’a pas profité à Jean-Paul Degache, qui purge une peine de 8 années de réclusion criminelle dans les circonstances que l’on peut imaginer.

 

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