Florence, la nièce de Jean-Paul, témoigne

Je tiens à vous faire part de mon témoignage à double titre : en tant que nièce de Jean-Paul, tout d'abord, mais aussi parce que je suis l'une de ses anciennes élèves.

 

C'est d'ailleurs au simple titre d'ancienne élève que j'ai été interrogée par la gendarmerie d’un village ardéchois voisin à celui de Sarras. Cet interrogatoire, je m'en rappellerai longtemps puisque c’est un officier de permanence qui l’a mené ! Tout a commencé par un message sur le répondeur téléphonique à la maison à Avignon un soir en rentrant du travail. La gendarmerie me demandait de rappeler très vite une certaine personne. Pas d'indication sur le pourquoi de l'appel. A l'écoute de ce message, un grand frisson me monte dans le dos : il est arrivé quelque chose de grave à quelqu'un de la famille ? Je saisis mon téléphone pour rappeler. On me répond qu'il n'y a qu’une personne qui peut me dire pourquoi il a appelé et qu'il ne sera pas là avant le lendemain après-midi. Malgré mon insistance et ma voix paniquée en pleurs, on ne veut rien me dire. J'ai de suite appelé mes proches à Sarras pour savoir ce qu'il se passait. Tout le monde allait bien et au bout d'un moment, nous avons fini par comprendre qu'ils avaient certainement appelé dans le cadre de l'enquête sur Jean-Paul, dont j'avais été informée par la famille.

 

Effectivement, le lendemain, j'ai enfin cette personne au téléphone qui m'a confirmé que les gendarmes devaient m'entendre en tant qu'ancien élève sur l'enquête qui était menée. Comme je résidais et travaillais à Avignon à l'époque, j'ai profité d'un week-end à Sarras pour me rendre à la gendarmerie le samedi matin qui a suivi. Le premier contact avec la gendarmerie au téléphone m'avait déjà donné un aperçu de la délicatesse et du tact de ses officiers.

 

Ainsi le samedi matin, je me rends à la gendarmerie qui est alors occupée par un seul officier, de "permanence" apparemment. C'est lui qui va m'interroger, parce qu'il est là, et non pas parce que c'est lui qui est en charge de l'enquête. Il commence à me poser les questions, en m'indiquant bien que je suis entendue en tant « qu'ancien élève ». Pourtant, et je lui fais remarquer, il commence ses questions par « votre oncle » ! A plusieurs reprises, il s'absente du bureau pour répondre au téléphone. Quand il revient, il s'est passé plusieurs minutes à chaque fois, et il reprend la frappe de la déposition. Je vous laisse imaginer la fidélité de la déposition quand on est dérangé sans cesse. Lorsqu'à la fin de l'interrogatoire il m'a demandé de relire et de signer, j'ai fait modifier plusieurs phrases : des propos avaient été amalgamés alors que je n'avais dans mes paroles, jamais fait de lien entre deux idées qui se retrouvait dans la déposition de cause à effet.

 

Je me suis même fait la réflexion, à l'époque, que j'avais été très attentive lors de la relecture de cette déposition mais que ce ne serait peut-être pas le cas de tous ceux qui avaient été ou seraient interrogés ... et que ces interrogatoires devraient être réalisés par deux personnes, toujours les mêmes, et être enregistrés ou filmés pour ne pas déformer les propos. Je ne blâme pas l'officier qui m'a interrogé ce jour-là. Il a fait son boulot, dans les conditions dans lesquelles on lui impose de le faire ... Cependant, il est regrettable que cela puisse aujourd'hui avoir les conséquences que l'on connaît...

 

Pour en revenir à Jean-Paul, je l'ai côtoyé quasi quotidiennement pendant 8 ans puisqu'il était déjà instituteur quand je suis rentrée en maternelle à l'école à Sarras en 1978.

 

Son fils aîné  avait alors un peu plus d'un an et notre mamie le gardait le matin, je ne sais plus si c'était tous les jours ou pas. J'ai eu la chance de déjeuner tous les midis chez ma grand-mère pendant l'école primaire. Ainsi Jean-Paul me récupérait à la maternelle le midi et me ramenait chez elle en allant chercher son fils avant de rentrer chez lui. Puis, quand son fils est rentré à l'école, Mamie a décidé de nous avoir tous les deux à déjeuner le jeudi midi. Comme mon cousin et moi avions deux ans d'écart, ces jeudi midi chez Mamie étaient des moments où l'on s'amusait bien. Jean-Paul nous emmenait alors chez elle à 11h30. Tout cela pour dire que pendant toutes ces années, je n'ai pas le souvenir d'avoir vu ou entendu quoi que ce soit de ce dont on accuse Jean-Paul.

De plus, et ce qui est étonnant, c'est que l'on ne m'ait jamais interrogé en tant que nièce de Jean-Paul, alors que, souvent, les pédophiles s'attaquent d'abord à leur entourage proche, et comme j’étais  la première de ses nièces, j’aurais pu être sa première victime si vraiment il avait été un dangereux pervers …

 

A l'école, dès le CP, on souhaitait tous grandir très vite et arriver en CM1 pour être dans la classe de Jean-Paul. Comme il faisait CM1 et CM2, il fallait "tomber" la bonne année pour être dans sa classe. Les parents d'élèves eux-mêmes souhaitaient que leur enfant soit dans la classe de Jean-Paul. Je me souviens en avoir entendu certains qui disaient à Mamie, quand elle venait me chercher à la sortie de l'école "Qu'est-ce qu'on a de la chance que notre fils/fille soit dans la classe de Jean-Paul !".

Pourquoi ? Certainement parce qu'il était (et sera toujours) un très bon instituteur.

Avec lui, chaque élève avait sa place et sa chance. Il n'enseignait certes pas de la même façon que ses collègues de l'école. Sans vouloir critiquer les autres instituteurs de l'école à l'époque, Jean-Paul n'enseignait pas à "l'ancienne méthode", derrière un bureau, de façon autoritaire. Il permettait à chacun de s'exprimer et de développer sa propre personnalité alors que d'autres enseignants souhaitaient nous rendre "uniformes", nous faire rentrer dans le moule. Pendant les deux années dans sa classe, je crois que nous avons tous gagné en confiance en soi et en autonomie. Non seulement sa façon d'enseigner nous permettait d'enrichir notre savoir mais surtout de grandir et d'être fin prêt à affronter le collège et l'adolescence.

 

D'ailleurs, lorsque je suis rentrée en 6ème à Saint-Vallier, je me souviens que plusieurs profs ont fait remarquer que les élèves arrivant de la classe de Jean-Paul Degache à Sarras étaient les mieux préparés du coin à l'entrée en 6ème et que cette année serait pour eux très cool et plus une année de révision qu'autre chose.

 

Pendant ces deux ans, je n'ai rien remarqué d'anormal dans le comportement de Jean-Paul. Il avait comme toujours, 10 000 projets pour l'école et pour la classe, des tas d'idées d'activités et de sorties qui rendaient envieux les élèves des autres classes. Nous avons fait de nombreuses sorties pendant ces deux ans : ski de fond, sorties à vélo  à la Tour d'Albon et au barrage d'Arras, nous sommes partis également à Beauchastel faire de la voile et du tennis (je m'en souviens très bien, Coluche est mort pendant cette classe verte). Nous avons certainement été une des premières écoles équipées en informatique (de magnifique MO5 avec crayon optique) et l'une des premières classes de découverte à faire de la photo, de la vidéo et de l'informatique !

 

Par ailleurs, s'il avait fait quelque chose dans la classe, on l'aurait remarqué. La classe était entièrement vitrée côté cour de récréation. Tous les élèves et instituteurs passaient sous les fenêtres au minimum 4 fois par jour pour rentrer et sortir de l'école, aller à la cantine, en salle informatique, ... L'entrée à l'école maternelle se faisait également en passant devant les fenêtres et pour la maternelle, c'était non seulement les enfants mais les parents qui passaient devant. Sans compter que de la cour de récréation des maternelles on avait une vue d'ensemble de la classe de Jean-Paul. Cela s'est passé en classe devant toute la classe ? Où sont les témoins ?

 

Que dire de plus si ce n'est que ces deux années resteront pour moi les meilleures de l'école primaire, voire de ma scolarité.  Peu d'instituteurs ou de professeurs restent en effet, dans nos mémoires lorsque l'on est adulte. Aujourd'hui, je ne comprends pas, comme beaucoup de personnes, comment on a pu arriver à le condamner à 8 ans de prison sans qu’il n’y ait un seul témoin !!!

 

Toujours est-il que Jean-Paul est en prison pour 8 ans ... Comme toute la famille et ses proches, je garde espoir de pouvoir le voir bientôt prendre ses petites-filles dans ses bras, remonter sur un vélo, dévorer un plat de quenelles préparé par Mamie ... Ces choses simples dont on l'a privé le vendredi 26 mars 2010 ...

 

Florence

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